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Digénis Akritas  |

L'épopée byzantine

Le témoignage d’Aréthas, évêque de Cesarée, qui vécut au Xe siècle, ajouté à celui provenant de la Continuation de la Chronique de Théophanes, nous permet d’attester que des chanteurs allaient de villages en villages déclamer les gestes des héros dans l’Empire byzantin. Non n’avons pas d’avantages de traces de ces musiciens ambulants cependant des chants populaires subsistent, et beaucoup d’entre eux ont été recueillis dès le XIXe siècle. Ces chansons recueillies sont les seuls indices d’une création proprement épique qui se serait effectuée jusqu’à la fin du XIIe siècle.

 

 

Les chercheurs sont d’accords pour dire que l’âge épique de Byzance, c’est le IXe et le Xe siècle. Or, comme le dit Paolo Odorico, tout produit littéraire est intimement lié à la société par et pour laquelle il a été conçu, même s’il s’agit d’un récit situé à une époque plus ancienne que celle qui lui a donné naissance. Nous pouvons avancer que la multiplication des chants épiques contant les exploits des héros du IXe et Xe siècle, servent à effacer les chants des héros des siècles précédents. Ex : Constantin V. (H. Grégoire) afin d’établir une civilisation bâtie sur des valeurs nouvelles. L’identification d’un peuple auprès d’un héros commun renforçant le phénomène de cohésion sociale.

« La forme dans laquelle nous sont parvenus les chants populaires n’est certainement pas la même que celle qu’ils avaient au Moyen Âge. Transmis de bouche en bouche pendant des siècles, ils ont changé d’aspect, de forme, de langue, ils ont perdu ou acquis des détails, se sont mélangés entre eux, bref, ils ont suivi l’évolution des goûts et de l’histoire. Cependant leur noyau est resté reconnaissable. Nous n’en avons qu’un seul exemple, le Chant d’Armouris, qui a été transmis par deux manuscrits du XVe siècle et par les chants recueillis au XIXe siècle. Il y a, des uns aux autres, une évidente continuité, et nous pouvons supposer que d’autres chants ont connu un sort identique. » (Introduction au Digénis Akritas, Paolo Odorico)

(Bataille entre Byzantins et Arabes, chronique de Ioannis Skylitzes, fin du XIIIe siècle)

Les chants « akritiques »

Tout au long de son histoire Byzance a été confrontée au problème de la définition de ses limites territoriales. Les confins orientaux ont été le territoire d’enjeux culturels importants, plongés sans cesse dans des guerres. Les épopées chantent les exploits de héros (souvent comparés à des saints) qui ont défendu les valeurs et coutumes porteuses de l’identité byzantine.

Le système administratif byzantin prévoyait l’installation de paysans-soldats aux confins de l’Empire ; ces paysans soldats ont existé à Byzance pendant des siècles, et pour la plupart des chercheurs le meilleur terme pour les définir serait « akritai », de « akra », terme qui en grec peut aussi signifier « région frontalière ». Dans l’esprit des chercheurs, ces paysans-soldats seraient à l’origine d’une production importante de chants, où ils célébraient les prototypes de vaillants héros en lutte contre leurs ennemis traditionnels., et où ils parlaient d’exploits héroïques transposés sur un registre légendaire.

Les chants « akritiques », sont attachés aux particularismes des provinces orientales (contrairement aux épopées qui proviennent de la capitale). Tout en reconnaissant la suprématie de l’empereur de Constantinople, l’auteur s’attache surtout à dépeindre l’autorité exercée par la noblesse locale sur ces régions.

Exemple de chants dit « akritiques » :

Chant d’Armouris, Andronic et ses fils, Chant de Porphyris, Chant de Charzanis, La fille du roi Levantis.

« Tous ces chants populaires ont plusieurs éléments en commun : le ton de la composition, des formules, des épisodes, une mentalité qui répond à des valeurs semblables, comme le courage démontré par le héros, sa conduite, sa vaillance physique et son code d’honneur. » (P. Odorico)

Le Chant d’Armouris

Cette geste est le plus ancien chant épique byzantin connu. Il raconte l’histoire d’Armouris qui traverse l’Euphrate (représentation géographique de la limite du monde byzantin) et combat des centaines de milliers de Sarrasins afin de libérer son père prisonnier de l’émir Arabe. Pendant cette longue période, allant du VIIe au XVe siècle, les Musulmans constituaient le principal danger pour les Byzantins. Pendant cette période, nombreux furent sans doute les événements qui auraient pu exciter suffisamment l’imaginaire populaire pour donner naissance à la première forme du ou des chants(s), forme qui par la suite allait se cristalliser dans quelque chose de plus ou moins proche de ce que nous connaissons. L’ancrage de ce chant dans le temps et l’espace demeure également schématique et incertain, afin d’éviter une fixité qui risquerait de le confiner dans la réalité sociale en lui ôtant son statut d’idéal, ou mythique.

Digénis Akritas

Au XIe siècle, l’Empire byzantin subit des bouleversements par la menace des Turcs en Asie Mineure.

XIe l’avènement des Comnènes, donne un nouvel élan littéraire. L’hagiographie (autrefois utilisé pour véhiculé des idées religieuses et sociales à travers des péripéties attrayantes au IXe) se transforme en biographie historique, or c’est dans ce contexte que se placent les deux versions les plus anciennes du Digénis Akritas.

Le Digénis n’est pas une épopée au sens classique du terme. On soutien cependant qu’elle s’est appuyée sur ce qu’on appelle la matière de Cappadoce, c’est-à-dire les traditions et les chansons populaires de la région de Cappadoce, leur région natale, importée, on le suppose, à la cour par la dynastie d’origine provinciale qui a su mener tant de guerres, victorieuses pour la plupart, pour restaurer les frontières de l’Empire. (H-A. Théologitis)

 « Ces textes, où se mêlent la transposition littéraire d’événements historiques anciens et le rêve d’une revanche sur des ennemis qui arracheraient impitoyablement leur territoire aux Byzantins, nous présente une société rude, où l’exploit individuel, chanté par le peuple, donne naissance à la légende. La mise par écrit du chant populaire sous la forme d’une biographie historique a ensuite permis à l’œuvre de se renouveler et, à son tour, de devenir source d’inspiration pour la muse populaire. » (Introduction au Digenis Akritas, Paolo Odorico)

Digénis est prudent face à l’autorité de l’empereur. Du reste, le thème du vaillant gaillard qui s’oppose à l’empereur est bien attesté dans d’autres chants populaires produits dans les régions orientales, comme par exemple le Chant de Porphyris

Page mise à jour le 30/11/2021 par BENJAMIN BOURGEOIS